Les 4 Mythes & le Triangle dramatique
Eric Berne est le père de l'Analyse Transactionnelle. Il a conceptualisé nombre de "jeux psychologiques" que nous jouons tous inconsciemment, non seulement les uns avec les autres mais aussi avec nous-mêmes. Sa démarche s'est toujours inscrite dans une volonté de rendre simple et accessible les schémas psychologiques qui nous manipulent et nous poussent à agir. Il faut de fait décrypter nos comportements courants pour commencer à s'en distancier. "Comment est-ce que j'agis (ou crois agir) avec les autres ? Comment est-ce que je crois que les autres agissent avec moi ? "

Face à ces questions, voici les "les quatre mythes" desquels Eric Berne nous invitait à nous distancier en prenant conscience qu'ils ne sont que des croyances infondées et sources de bien des souffrances :
o J’ai le pouvoir de rendre les autres heureux
o Les autres ont le pouvoir de me rendre heureux
o J’ai le pouvoir de rendre les autres malheureux
o Les autres ont le pouvoir de me rendre malheureux
Ces 4 mythes nous dépossèdent de notre pouvoir personnel : NOUS SEULS avons le pouvoir de NOUS rendre heureux ou malheureux, non en fonction de l'autre ou de la situation mais de NOTRE manière de la percevoir et d'y répondre. Marshall Rosenberg, le grand théoricien de la Communication Non-Violente, étudia lui aussi les postures que nous adoptons face à ces fausses croyances et travailla activement aux moyens d'en sortir. Je vous invite à la lecture de cet article pour en apprendre plus sur cette méthode révolutionnaire d'une communication éveillée : https://www.therapie-transpersonnelle.com/post/communiquer-en-conscience-avec-soi-et-avec-l-autre
Stephen Karpman, élève d'Eric Berne, théorisa en 1968 le désormais célèbre "triangle dramatique". Dans son rapport aux autres, chacun de nous adopte tour à tour trois rôles : celui de Victime, de Bourreau (également nommé Persécuteur) ou de Sauveur (également nommé Sauveteur). Ces rôles peuvent varier en fonction de nos interactions sociales : on peut par exemple se mettre en position de Bourreau avec son enfant, de Victime avec son conjoint et de Sauveur avec sa mère, et ces rôles peuvent changer au fil de la même journée. Ex : il suffit que notre vieille mère ne manifeste pas suffisamment de gratitude devant notre rôle Sauveur ("je t'ai amené le dîner") pour que l'on devienne la minute d'après Victime ("tu ne vois pas comme je m'épuise pour toi" ou Bourreau ("et bien la prochaine fois, tu te débrouilleras toute seule, ma vieille !"). Chacun de ces rôles est utilisé de manière à dominer l'autre psychologiquement (oui, oui, même celui de la Victime, loin d'être l'innocente petite brebis que l'on aimerait parfois se penser être...) :
- la Victime domine en attirant sur elle l'attention de l'autre, en l'apitoyant et en requérant son assistance (c'est une manière cachée de valoriser l'autre en se dépréciant pour ne pas avoir à assumer ses propres responsabilités) ;
- le Bourreau domine en imposant sa vision aux autres et en exerçant sur eux son pouvoir au travers de ses critiques et jugements (c'est une manière cachée d'affaiblir l'autre pour ne pas assumer ses propres doutes et peurs) ;
- le Sauveur domine en s'occupant de l'autre de telle manière qu'il se croit (et souhaite inconsciemment être considéré) comme indispensable (c'est une manière cachée de rendre l'autre dépendant pour se rassurer sur son utilité et donc se (re)donner de la valeur sans avoir à se pencher sur ses propres ombres)
Le rôle de Victime, c'est être soit en attente d'un Sauveur parce que je pense que "Les autres ont le pouvoir de me rendre heureux" (2e mythe) soit être en attente d'un Bourreau parce que je pense que "Les autres ont le pouvoir de me rendre malheureux" (4e mythe). Il peut se cacher dans bien des postures et archétypes que l'on adopte, par exemple :
- tout ce qui concerne les addictions et dépendances (le consommateur effréné, le bourreau de travail workaholic, le boulimique, l'alcoolique, le dépendant affectif, le drogué) : il remet son pouvoir personnel à une "autorité" externe, une source d'approvisionnement qui n'est pas lui ;
- le peureux, le lâche : il refuse d'affronter ses peurs et se décharge sur les autres dont il attend qu'ils le fassent à sa place. En cela, il est à la fois Victime et Bourreau ;
- le "fidèle serviteur" (le "parfait domestique", l'ouvrier qui se laisse traiter comme une bête de somme, l'homme servile qui sert encore et encore sans se donner le droit d'être bien rémunéré ou encore le jeune mendiant bien-portant qui essaie de susciter la pitié dans la rue) : il utilise le travail et le manque d'argent comme une excuse pour ne pas se dépasser, et son inconfort est finalement sa zone de confort ;
Le rôle de Bourreau, c'est être en recherche inconsciente d'une Victime parce que je pense que "J’ai le pouvoir de rendre les autres malheureux " (3e mythe). Bien qu'il soit nettement plus repérable (la brute, le critique destructeur, le pervers narcissique, etc.), peut aussi se dissimuler dans divers archétypes du quotidien :
- le scientifique sans éthique qui, au nom de la science, commet (ou permet que se commette plus tard) des actes barbares ;
- le Saboteur en chacun de nous, celui qui sape notre estime de soi, instille doutes et manque de confiance devant nos projets et notre envie d'évoluer, empêche notre réelle prise d'indépendance... (lire l'article : https://www.therapie-transpersonnelle.com/post/le-saboteur). Il peut également saboter l'autre si sa prise d'indépendance lui donne le sentiment de menacer sa zone de confort à lui ;
Le rôle de Sauveur, c'est être en recherche inconsciente d'une Victime parce que je pense que "J'ai le pouvoir de rendre les autres heureux" (1er mythe). Ce rôle se cache dans ces archétypes :
- le "petit ange", le bon Samaritain, qui agit de manière douce et innocente pour mieux parvenir à ses fins (en cela il est à la fois Sauveur et Bourreau, manipulant l'autre et lui imposant sa vision "pour son bien") et pour recevoir de l'autre une reconnaissance qui lui donnera l'estime de soi dont il manque ;
- le guérisseur, le thérapeute, l'infirmière éreintée, le soignant débordé de travail : il s'occupe des peurs et des maux de l'autre pour éviter de s'occuper des siens et il ne sait, en vérité, pas toujours très bien prendre soin de lui-même ;
- le gourou, le sage, le maître spirituel : il guide les autres dans une certaine quête d'ascendance sur eux (en cela, s'il les prive de leur pouvoir personnel et ne fait pas preuve d'une très grande conscience de soi, il peut rapidement devenir Bourreau) ;
Pour autant, malgré le sombre tableau dressé par ces trois rôles, nous ne sommes pas constamment dans l'ombre et la manipulation. Victime, Bourreau, Sauveur, chacun d'eux a également une face lumineuse et évolutive :
La Victime (en soi ou en l'autre) nous tend inconsciemment un miroir de nos vulnérabilité qui peut s'avérer très bénéfique lorsque l'on ne se permet aucune faiblesse (ce qui est une erreur). De plus, elle nous amène à développer notre empathie et notre patience. Pour évoluer positivement, la victime doit récupérer son pouvoir personnel, s'affirmer davantage, et apprendre qu'il n'est pas nécessaire de souffrir pour avancer ni de se plaindre pour demander.
Le Bourreau (en soi ou en l'autre) est un être insécurisé qui recherche une paix à laquelle il pense ne pas avoir accès. Il peut également nous donner un bon exemple de ce qu'il faut parfois faire pour relâcher la pression : éclater de colère une bonne fois (pour "décoller l'air", exprimons "les colères") ou même détruire certaines choses pour mieux reconstruire. Pour évoluer positivement, le bourreau doit user de sa force pour protéger au lieu de nuire, se faire le protecteur et non le critique en acceptant la différence de l'autre. Il doit également s'ouvrir à sa vulnérabilité et l'accueillir avec bienveillance.
Quant au Sauveur, qui a déjà, de toute évidence, le beau rôle, il nous amène à développer notre altruisme de manière juste et équilibrée, pour l'amour de servir et non pour le seul amour de soi, c'est-à-dire sans rendre l'autre dépendant et sans être soi-même dépendant de la reconnaissance d'autrui pour s'accorder de la valeur. Pour évoluer positivement, le sauveur doit cesser de se projeter dans les problèmes de l'autre et se freiner afin de ne pas "imposer" son assistance, notamment en demandant au préalable à l'autre la permission de l'aider ou non (et non, tout le monde ne souhaite pas que vous soyez son super-héros). Laisser à l'autre le champ libre pour expérimenter et faire des erreurs est la meilleure manière de le responsabiliser (et donc de l'aider ! mais de manière passive et autonomisante...).